L’eau au Maroc
Introduction
Le
Maroc se signale au Maghreb par une certaine abondance de ses ressources en
eau, le potentiel hydraulique mobilisable annuellement étant estimé à 30
milliards de mètres cubes, soit trois fois celui de la Tunisie. Il est aussi
'le Royaume de la grande hydraulique', appellation que nous avions utilisée en
1985, car il a réalisé - ou réalise actuellement - un ambitieux programme de
barrages devant le doter d'un million d'hectares irrigués en l'an 2000 (Note:
le million d'ha irrigué a déjà été atteint en 1997).
Aussi
serait-on tenté de penser que, privé de ressources en hydrocarbures, à la
différence de ses trois voisins de l'Est, le Maroc se rattrape, en quelque
sorte, par ses disponibilités en eau et peut ainsi envisager sereinement un
développement agricole et industriel. Ce serait oublier les caprices
dramatiques du climat sud-méditerranéen, que la sécheresse implacable est venue
rappeler plusieurs années durant jusqu'en 1995, années pendant lesquelles on a
frôlé une véritable catastrophe économique et sociale. Ce serait également
oublier que le rapide développement urbain (taux d'urbanisation de 51,4% en
1994 contre 35% en 1971, ce qui équivaut à plus de 13 millions de résidents
urbains) a fait croître de façon brutale les besoins en eau potable, mais aussi
les moyens d'assainissement. Une course aux équipements est entreprise pour
doter les villes de moyens suffisants mais de gros retards subsistent.
Abondance
et menaces de pénurie caractérisent le Maroc. L'urgence d'une lutte contre le
gaspillage, une meilleure tarification de l'eau utilisée et une priorité à
apporter aux installations pour l'assainissement des eaux usées sont ainsi des
impératifs que nul ne conteste dans ce pays, car ils conditionnement l'entrée
du Maroc dans la catégorie enviée des pays 'émergents'.
Des
atouts hydrauliques réels
Le
Maroc bénéficie d'avantages naturels qui lui assurent de bonnes disponibilités
en eau, sans grand risque de rupture avant 2020: un vaste château d'eau
atlasique, des fleuves pérennes comme le puissant Oum er Rbia, d'importantes
nappes souterraines encore peu entamées, de fortes averses pluvieuses vennues
de l'Atlantique en hiver. Cela se traduit par une puissance des débits des
cours d'eau et par une importante masse d'eau annuellement mobilisable: 21
milliards de mètres cubes (sur les 30 milliards de potentiel, 9 milliards de
mètres cubes proviennent des eaux de surface et 5 milliards de mètres cubes des
eaux souterraines.
A
cela s'ajoutent une politique systématique de grande hydraulique qui a doté le
pays de 85 grands barrages, la plupart édifiés depuis 1966, et le savoir-faire
d'une société paysanne, composée d'irriguants habiles qui maintiennent les
traditions de l'irrigation traditionnelle, tout en s'adaptant aux technologies
les plus récentes: goutte à goutte, pivots, aspersion.
Ceci
se traduit dans l'espace national par une vaste superficie des territoires
effectivement irrigués qui, pour le secteur moderne (petite, moyenne et grande
hydraulique), atteint 850 000 hectares. En incluant le potentiel du gigantesque
barrage d'El Wahda (M'Jara) dans le Périf, en cours d'achèvement, la grande
hydraulique à elle seule approchera les 800 000 hectares. Et si l'on ajoute au
secteur, dit moderne, les superficies de la petite irrigation traditionnelle,
le pari du million d'hectares, lancé par le roi Hassan II, est en passe d'être tenu.
La
'voie agricole' peut-elle être menacée
Par
le biais de ces grands équipements d'irrigation, le Maroc a affirmé au fil des
plans de développement successifs une réelle fidélité à la voie agricole. La
présence de ces grands réservoirs derrière les murs des barrages a évité au
pays disettes et rationnements massifs lors des récentes 'séries' de sécheresse
(1980 à 10985, 1991 à 1993 et 1994-1995). L'agriculture est la grande
consommatrice d'eau puisqu'elle absorbe 86% des ressources. cette agriculture
s'est amplement diversifiée mais certains experts estiment que le choix de
quelques cultures dévoreuses d'eau-riz, canne à sucre, plantes tropicales-
constituent un gaspillage, de même que la pratique fréquence d'irrigations en
plein été.
Les
sécheresses récentes ont amené à puiser dans les réservoirs des barrages,
pourtant déjà bien bas - en juin 1995, le taux de remplissage était tombé aux
environs de 30 % - pour alimenter prioritairement les villes. si de copieuses
pluies n'étaient pas survenues en 1996, il aurait été nécessaire de sacrifier
certaines cultures et de réviser l'orientation générale de l'agriculture
nationale. Le Maroc est finalement très dépendant, pour son économie, de l'eau
du ciel et l'année sèche 1995 a vu le PIB chuter de 6,1 % alors que 1996, bien
arrosée, a enregistré une récolte céréalière record et verra le PIB croître de
9,2 % .
Pour
conserver au secteur agricole toute son efficacité, et donc éviter que les
compagnes n'effectuent aussi bien des lâchers d'eau que des refoulements
d'homme vers les villes, il faut s'assurer des réserves du précieux liquide,
donc continuer l'implantation de barrages et la réalisation de modestes
ouvrages de petite et moyenne hydraulique : lacs collinaires, réfection de
canalisations, de citernes. Il faut également lutter contre le gaspillage de
l'eau, réparer les fuites, développer des techniques d'irrigation moins
soumises à l'évaporation, contrôler les créations désordonnées de puits équipés
de motopompes qui menacent d'épuisement certaines nappes phréatiques, notamment
dans le Sud. On parle, une fois de plus, de revoir la tarification de l'eau qui
actuellement n'incite guère aux économies. Ce sont des réformes des structures,
des mentalités, des comportements beaucoup plus que des miracles technologiques
qui pourront conforter l'agriculture irriguées marocaine.
Une
demande d'eau potable urbaine en forte croissance
S'il
est vital de préserver le capital d'eau d'irrigation, il est tout aussi
nécessaire de prévoir les besoins en eau potable des habitants, tout
spécialement ceux des périmètres urbains qui ont accru leur étendue, sans que
les réseaux et les dotations puissent toujours suivre avec régularité leur
expansion.
Actuellement,
l'Office National de l'Eau Potable (ONEP) fournit l'eau à 16 régies de
distribution qui la distribuent dans les principaux centres urbains, et assure
lui-même la fourniture en eau à plus de 160 agglomérations petites et moyennes.
La production d'eau potable qui devrait annuellement atteindre 1 milliard de
mètres cubes fluctue au gré des aléas climatiques : elle a été de 812 millions
de mètres cubes en 1992, de 771 en 1993, inférieure sans doute en 1994, alors
que le nombre de consommateurs n'a cessé d'augmenter.
Les
grandes villes sont relativement bien placées par rapport aux zones de
fourniture : les Atlas pour celles du piémont Nord ou Marrakech, les grands
fleuves du bassin atlantique pour le corridor urbain incluant Rabat et
Casablanca, les nappes du Sous et l'eau atlasique pour Agadir, Seul Tanger dont
l'agglomération atteint un demi-million d'habitants ne peut compter sur de bons
réservoirs et a dû, pendant la sécheresse de 1995, être ravitaillé
quotidiennement par des bateaux-citernes en provenance des Doukkala (jorf
Lasfar). Les transferts d'eau à longue distance sont donc encore réduits et ils
concernent essentiellement la région urbaine de Rabat-Casablanca.
Mais
les besoins sont tels qu'il sera nécessaire dans les quinze prochaines années
de multiplier les sources d'approvisionnement, donc d'établir des conduites
d'amenée sur de plus longues distances, notamment dans le Nord-Ouest (péninsule
tingitane) mais aussi de développer plus largement des stations de dessalement
de l'eau de mer (provinces sahariennes), la première de ces installations de
grande taille étant prévue pour 2010. Les coûts de ces investissements se
chiffrent en dizaines de milliards de dirham.
La
distribution de l'eau urbaine est affectée par la mauvaise qualité des
canalisations dans certaines grandes villes. Des investissements importants seraient
nécessaires pour rénover les réseaux. Une révision des tarifications et des
encaissements auprès des abonnés serait indispensable. Les régies urbaines de
distribution n'ont pas les moyens financiers de ces opérations et l'on se
dirige vers une délégation de la gestion de l'eau urbaine à des sociétés
privées. La lyonnaise des Eaux est ainsi sur les rangs pour succéder à la RAD
(la régie casablancaise) et promet d'investir 30 milliards de dirhams sur 30
ans. Elle améliorera les infrastructures, garantira l'accès rapide à l'eau,
mais relèvera les tarifs.
En
milieu rural, de grandes lacunes subsistent et l'on peut estimer que la
dotation de nombreux centres ruraux n'excède pas 10 l/hab/jour. Un programme
gigantesque d'adduction d'eau serait nécessaire au même titre qu'une
électrification des douars et villages, jugée très en retard par rapport aux
pays voisins. trop souvent, le puisage de l'eau à la campagne se fait sans
contrôle et il y a là de gros risques épidémiologiques.
Une
urgence: le développement de l'assainissement
Le
traitement des eaux usées n'a pas suivi le développement des réseaux
d'adduction. Le Maroc n'a pas d'originalité en ce domaine, ces retards étant
constatés dans la plupart des pays du monde arabe, du fait de la progression
très rapide des branchements et de la subite importance en volume des eaux
usées. Mais il existe au Maroc des situations particulièrement menaçantes
demandant des aménagements urgents.
Le
pays compte une soixantaine de stations d'épuration. Seize seulement tourneraient
au ralenti et deux, celles de Nador et Khouribga, fonctionneraient
convenablement (éléments fournis par la presse marocaine). Plus grave, il
existerait 7 000 hectares de terres agricoles irriguées par des rejets d'eaux
usées en périphérie des villes. Le domaine d'intervention est donc immense.
Une
infiltration des nappes se produit dans des quartiers urbains récents, ne
disposant pas d'un réseau d'égouts suffisant ou de réceptacles à effluents,
alors qu'à proximité, dans la zone des rejets, des puits sont creusés. Les
effluents industriels sont responsables d'une pollution importante: les
sucreries dans le bassin de l'Oum er Rbia émettraient des rejets pendant la
campagne d'exploitation équivalents à ceux d'une population d'un million
d'habitants; le fleuve Sebou accumule eaux urbaines usées et déchets solides de
Fès, Meknès, Kénitra, Sidi Kacem, Sidi Slimane et divers effluents industriels
sans qu'un traitement efficace de ces eaux ne soit effectué.
Les
conséquences des retards en installations d'épuration et d'assainissement sont
multiples. Sur le littoral, en particulier, elles aboutissent à une dégradation
de la qualité des eaux marines: les plages de Rabat et Salé les plus proches de
l'estuaire sont dangereuses pour les candidats à la baignade; à Casablanca, un
gigantesque chantier est en cours pour améliorer la collecte des eaux usées
dirigées vers l'Atlantique et traiter efficacement des rejets.
Si
le développement de grosses stations d'épuration est indispensable des
solutions légères pourraient être adoptées pour certaines unités urbaines et
déboucher sur un traitement valable des eaux usées. Il ne s'agit donc pas
uniquement de mobilisation de gros budgets mais aussi de l'adoption de mesures
parfois peu spectaculaires, mais pourtant efficaces, de protection de
l'environnement. Les inondations de janvier 1996 ont souvent été dévastatrices
en zone urbaine du fait du mauvais entretien des réseaux d'évacuation, de leur
bouchage par des débris solides. Une surveillance plus poussée des réseaux et une
action éducative auprès des populations pourraient améliorer les systèmes
d'évacuation à moindre frais.
Le
premier quart du XXI siècle sera décisif
Le
potentiel total d'eau régularisable (et non pas mobilisable) est estimé à 16,5
voire 17 milliards de mètres cubes. En tenant compte de l'augmentation de la
population - près de 41 millions d'habitants en 2025-, des besoins en
irrigation, de la demande industrielle, on estime que la consommation nationale
atteindra le chiffre du potentiel régularisable aux alentours de 2020. C'est
donc peu avant la fin du premier quart du siècle à venir que se situera le
point de rupture entre production et consommation. Touché plus tardivement que
ses voisins, le Maroc devra, à son tour, rechercher de nouvelles ressources en
eau.
C'est
en prévision de ce seuil que les énergies se mobilisent. La recherche
d'économies dans la consommation d'eau, la poursuite d'une politique de
stockage, le développement du recyclage des eaux usées, de stations de
dessalement de l'eau de mer, la mise en place éventuelle d'un aquaduc entre
l'Europe et le Maroc sont des solutions simultanément envisagées. Sans vouloir
donner dans la technologie-fiction, il est bien certain que l'on doit tout
entreprendre pour éviter un "assoiffement" du pays à l'horizon
2020-2025. Selon que les efforts entrepris dans les vingt prochaines années
seront menées avec plus ou moins de vigueur, selon que des concours
internationaux seront ou non apportés au Maroc, ce pays continuera à disposer
d'une aisance hydrique ou bien entrera dans la catégorie des territoires
menacés n.
Références
bibliographiques
Mutin
G. (1995), "L'eau: une ressource rare", chapitre 2 de l'ouvrage
Maghreb, Moyen-Orient: mutations (J.F. Troin Ed.), Paris, SEDES, coll. DIEM n°
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Perennes
J-J (1993), "L'eau et les hommes au Maghreb, contribution à une politique
de l'eau en Méditerrannée", Paris, Karthala, 641 p.
Perennes
J-J (1992), "Le Maroc à portée du million d'hectares irrigués. Eléments
pour un bilan". Monde arabe, Maghreb-Machrek, N° 137, juillet-septembre,
Paris, la Documentation française, pp. 25-42.
Troin
J-F. (1985), "L'eau: atout et limite pour le développement", la
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Paris, A. Colin, collection U, pp.83-116.
Annuaire
statistique du Maroc, 1995, Rabat, Direction de la Statistique, 560 p.
Par J-F. TROIN, In
"les cahiers de l'Orient, 1996"
© 1998, Bulletin réalisé à l'Institut
Agronomique et Vétérinaire Hassan II,
Responsable de l'édition: Prof. Ahmed Bamouh
Programme National de Transfert de Technologie en
Agriculture (PNTTA)
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